Les KPI sont conçus pour donner une direction claire et concentrer les efforts sur les bons objectifs. Dans la vente, ils sont incontournables : taux de conversion, taille du pipeline, valeur moyenne des deals… Autant d’indicateurs qui rendent la performance mesurable et permettent à toute l’équipe d’avancer dans la même direction.
Mais quiconque a déjà passé quelques mois dans un service commercial le sait : les KPI, c’est aussi un jeu. Les meilleurs vendeurs trouvent toujours le moyen de faire grimper les scores, parfois dans l’esprit de l’indicateur, parfois un peu à côté. Pas par paresse ni malhonnêteté, mais parce qu’ils sont drivés par les résultats. En clair : apprendre à déjouer les KPI.

À quoi cela ressemble dans la pratique ?
Chaque équipe commerciale les connaît : ces petites astuces créatives pour « gérer » les KPI.
- Pipeline enregistré tardivement : les opportunités ne sont saisies dans le CRM que lorsqu’elles sont quasiment conclues. Résultat : des taux de conversion spectaculaires… mais aucune visibilité marché pendant des mois.
- Jouer sur les probabilités : revoir légèrement les estimations à la baisse ou à la hausse pour sécuriser les prévisions.
- Timing stratégique : repousser une affaire au trimestre suivant ou, au contraire, l’accélérer pour atteindre les objectifs du moment.
- Prospection sélective : se concentrer uniquement sur les leads « chauds » pour engranger des victoires rapides, en laissant de côté les nouveaux marchés.
- Cosmétique du CRM : enregistrer les activités après coup… ou ne pas déclarer les affaires perdues.
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Le principe de la carotte et du bâton
Derrière ces comportements se cache une dynamique classique : celle de la carotte et du bâton.
- La carotte : les récompenses. Primes liées aux objectifs atteints, reconnaissance en réunion mensuelle ou encore distinction spéciale qui met à l’honneur les meilleurs vendeurs de l’année. Les commerciaux courent naturellement après ces récompenses.
- Le bâton : les conséquences. Lorsque les objectifs ne sont pas atteints, la pression managériale augmente, le statut s’affaiblit et la prime diminue. Personne ne veut subir cela, d’où cette tendance à « gérer » les KPI.
Le problème : si la carotte et le bâton ne sont reliés qu’à des chiffres bruts, alors les comportements finissent par se caler uniquement sur ces chiffres. Résultat : le tableau de bord triomphe, mais la stratégie d’entreprise s’appauvrit.
Pourquoi cela arrive-t-il ?
- Instinct de survie : les vendeurs cherchent à maximiser leurs chances d’obtenir la récompense ou d’éviter la sanction.
- Vision trop étroite : les KPI mesurent surtout le concret – chiffre d’affaires, volumes, ratios – alors que la valeur à long terme reste souvent hors radar.
- Biais court terme : comme les bonus et évaluations sont fixés au trimestre ou à l’année, ils encouragent des comportements qui maximisent l’immédiat, au détriment de la stratégie future.
Quels sont les risques ?
- Perdre de vue la réalité du marché.
- Se baser sur des prévisions biaisées par des chiffres manipulés.
- Donner aux nouveaux commerciaux une image faussée de la situation.
- Ralentir l’innovation et le développement de nouveaux marchés.
- Fragiliser la confiance entre la direction et les équipes de vente.
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Comment éviter cela ?
La solution n’est pas de brandir une plus grosse carotte ni un bâton plus dur. Il s’agit plutôt de récompenser plus intelligemment et de mesurer plus équitablement.
- Redéfinir la carotte : Valorisez non seulement le chiffre d’affaires, mais aussi la qualité des données, l’exploration de nouveaux marchés ou encore la rétention des clients.
- Relâcher la pression du bâton : Une prévision réaliste ou un lead enregistré tôt ne doit pas entraîner de sanction. La transparence doit être encouragée et sécurisée.
- Mesurer court et long terme : Associez des objectifs de chiffre d’affaires stricts à des indicateurs complémentaires : couverture du marché, pipeline en amont, satisfaction client.
- Rendre les KPI multidimensionnels : Incluez dans vos scores des critères comme l’intégrité des données, la qualité des leads correspondant au profil client idéal ou l’activité sur de nouveaux marchés.
- Favoriser des objectifs partagés : Alignez ventes, marketing et customer success sur les mêmes KPI afin d’éviter l’optimisation en silo.
- Aller au-delà du tableau de bord : Complétez les chiffres par des revues d’affaires, des analyses de victoires et de défaites ainsi que des discussions pour comprendre les résultats.
Ce que cela change
- Une vision plus juste et complète du pipeline.
- Des commerciaux qui investissent leur énergie dans des activités vraiment utiles, au lieu de « jouer » avec les chiffres.
- Une culture de coaching plutôt que de contrôle.
- Des KPI perçus non plus comme une contrainte, mais comme un levier d’apprentissage et de croissance collective.
En résumé
Les KPI façonnent le comportement. Si vous associez uniquement carotte et bâton au chiffre d’affaires, vous obtiendrez certes du chiffre d’affaires… mais souvent au prix d’une perte de vision et de valeur durable. La clé : alignez récompenses et conséquences avec les comportements que vous voulez vraiment encourager.